C’est un rêve effrayant et je m’y trouve encore. / — Une chose mouvante et qu’on appelle Terre / coule à pic, lentement, hors du regard de l’être… _ Benjamin Fondane

L’homme marche, il poursuit l’avènement du monde / il porte en lui sa propre usure / sa vie s’use en lui, pèle, mûrit, moisit / — mais une mélodie nouvelle / une chose nouvelle s’empare de ses muscles / elle fermente en lui comme un vin nouveau / elle lui ferme les paupières / une chanson nouvelle qui chante dans sa moelle / elle s’avance en lui / dans la banlieue de lui-même / est-ce une chanson mangeuse d’hommes / une chanson cannibale ? _ Benjamin Fondane

Mais y a-t-il encore des voyageurs, des pas / dans le sable, des touristes dévorés par des squales, des îles ovipares où pousse l’ancolie, / des bateaux échoués sur des lithographies ? _ Benjamin Fondane

L’homme serait-il seul à ne rien / savoir quitter, épris de ses racines, / comme quelqu’un qui se souvient / à peine du pays qui l’avoisine ? /…/ Parfois aussi il se demande si / ce lui serait très dur de disparaître / sans qu’il ait pu, dans l’eau des choses, être / le long reflet d’un calme réussi. _ Benjamin Fondane

Et j’ai dit à mon propre espoir : Que me veux-tu ? / Pourquoi me harceler sans cesse ? / Cette terre me plaît aux entrailles douces / ce nuage d’été se pose dans mes yeux / comme un sanglot de joie _ Benjamin Fondane

La tête sur la roue / j’avance face contre terre / lié par ce solide mouvement / qui ne se peut briser qu’il ne me jette — / Je roule dans le cadre fermé / avec la solitude à droite et le grand pont / rouillé à gauche. _ Benjamin Fondane

À cinq minutes de la fin du monde / l’orchestre attaque le Tonnerre… / La Beauté meurt d’épuisement / sur les genoux des spectateurs / émus par cette Nuit savoureuse entre toutes… _ Benjamin Fondane

Mais ce cœur est rongé d’ennui comme le mien, / comme le mien aussi salé de solitude / on ne peut s’embrasser qu’à travers un miroir, / se toucher qu’à travers un fleuve de silence _ Benjamin Fondane

On a pris nos empreintes / sur toute la terre, et plus loin. / À quoi servent sanglots et plaintes ? / La route marche et ne finit point. _ Benjamin Fondane

Puissances sans figure ! / Une absence nous creuse sur l’oreiller du vide, / la matière n’est plus possession mais échange, / le moindre événement du pôle / nous fripe le visage _ Benjamin Fondane

J’étais attaché à ces riens, / mais plus encore à moi-même. / À peine a-t-on franchi le seuil / qu’on tourne autour de quelque chose / comme un soleil désemparé… / Qu’on ouvre la porte seulement / le monde se jette dedans — / combien résisteront les digues ? _ Benjamin Fondane

Voici que je crie après Toi, / voici je trouble Ton sommeil, / combien de temps l’écorce seule / aura-t-elle pitié de l’arbre ? _ Benjamin Fondane

Tout seul plus seul encore que d’être avec moi-même / j’ai peuplé mon néant de visages à moitié inhumains / je touchais leur réel puisqu’ils étaient irréels / je partageais le sang de mon cœur avec le leur _ Benjamin Fondane

Si l’œil revient des fleuves noirs, / avec la neige, au cœur, du vide, / pourquoi fouetter, l’œil stupide, / les maigres fesses de l’Espoir ? _ Benjamin Fondane

Les enfants ont sauté sur les chevaux de bois / dans la démangeaison aiguë des musiques, / en un monde qui tourne — / qui tourne sans savoir pourquoi. _ Benjamin Fondane

Le monde meurt. En route, vieux fantômes ! /…/ Qui veut ressusciter d’entre les morts ? / Ivresse ! Faut-il donc qu’elle sanglote / toujours — encore — l’ancre dans les ports ? _ Benjamin Fondane

J’ai cru bien entendu / qu’il fallait partir à la chasse, poursuivre / le temps comme une biche rapide, arracher / ses cornes, jouir / de l’hémorragie des heures / tombées dans le crépuscule la face couchée dans l’étang. _ Benjamin Fondane

Et s’il n’y avait dans le monde / qu’un “seul“ homme pour “une“ pierre, / elle finirait par émouvoir / la grande trompette du sang, / le dieu qui dort dans cette pierre, / l’ il immobile ! _ Benjamin Fondane

Je ne l’avais pas appelée / mais puisqu’elle est là, à ma table, / je veux cette cloche enfouie / qui sonne le temps à rebours. _ Benjamin Fondane

la délectable angoisse / de gaspiller l’éternité / pour une longue et pleine minute de néant. _ Benjamin Fondane

Joie à venir, affreuse joie ! / De ce rayonnement obscur / quelle est ma part de lumière ? / Ô comme je voudrais quitter / ce cœur de papier que l’on froisse — / et cette molle éternité ! _ Benjamin Fondane

Je n’avais pas revu la terre / — qui me pressait de voyager ? _ Benjamin Fondane

Nos rides poussent dans la glace / nous vieillissons dans l’air, dans l’herbe / et le monde se refroidit dans notre sang… _ Benjamin Fondane

La solitude vient — est-ce bien la dernière ? / Quelqu’un déjà tourne de l’œil / dans un naufrage sans mémoire. _ Benjamin Fondane

Je sens qu’il faudra être grand / dans cette solitude vierge / que vient de balayer le vent — / oiseaux plus grands que neige… _ Benjamin Fondane

Il avançait toujours — et ce n’était pas Lui. / Je le suivais. J’étais à deux pas de son ombre. / C’était une poursuite lente / si lente et en dehors du temps / que l’aube tout à coup étala ses marais / et que l’on étrangla des coqs, qui éclatèrent / au centre du soleil _ Benjamin Fondane

» Il faut nous élever au-dessus de nous-mêmes ! » / —Et j’ai grimpé plus haut que moi / plus haut que la maison, la mère et que la femme dont le ventre était chaud / j’ai quitté les oiseaux familiers, la basse-cour / j’ai marché un instant sur la tête des hommes / plus haut, plus haut encore il fallait que je monte / afin de dépouiller mon sang / Je n’aurais jamais cru que la barbe des sages / était si dure à traverser _ Benjamin Fondane

je suis né de rien, / et cependant, plus tard dans la chair de la femme / j’ai cherché cette chose amère et emmêlée, / l’obscure volupté qui m’a ouvert les yeux. / Mais comment cette chair devient esprit, le sais-je /… _ Benjamin Fondane

Une nouvelle nuit commence / avec chaque homme dans le monde ; / quelle paupière ouvrira-t-il ? / et sa lampe tremblera-t-elle ? / On n’a de lumière qu’en soi. – Benjamin Fondane

Quel insensé qui n’ait voulu sauver fût-ce / qu’un peu de ce crépuscule, une poignée d’odeur, / quelque absurde soulier d’une ombre / et qui peut rire, rire de ce que l’Eternel / lui-même meure ? _ Benjamin Fondane

Dans les tissus de ta pierre, / où est-il ce dieu vivant / qui dînait d’une prière / et qui déjeunait de vent ? _ Benjamin Fondane

Parfois, il lui arrive de troubler / l’eau d’un étang, de son visage ; / c’est comme si un dieu voulait doubler / — pour empêcher la fuite — son image. _ Benjamin Fondane