Visage qui ne dit qui ne rit / qui ne dit ni oui ni non. / Monstre. / Ombre. / Visage qui tend, / qui va, / qui passe, / qui lentement vers nous bourgeonne… / Visage perdu. _ Henri Michaux/

Ma gorge a connu la soif avant l’armature / De peau et de veines autour du puits / Où les mots et les eaux forment un mélange qui tient / Jusqu’à ce que jaillisse le sang vicié. _ Dylan Thomas

Toi qui cherches la vérité / c’est le mur que tu cherches. /La pierre l’autre pierre l’autre. / Appuie ton dos sur le mur / ou ton front / reste ainsi debout dans la nuit / avec les petites pièces de monnaie dans ta poche / qui ne rendent aucun son / d’or ou d’argent / sans aucune valeur. / Les rêves non plus. _ Yannis Ritsos

Maintenant nous sommes dans l’ère des yeux vides. Tout me blesse en dehors de ce temps que j’ouvre, pour que tu y passes. _ Christian Bobin

Brève fut ma vie / face à l’éternité /…/ Mais je repasse sur terre / avec la régularité / des oiseaux migrateurs / déchirée / entre l’endroit de ma couvée / et de mes périples _ Anise Koltz

Glacé d’effroi souvent j’écoute à la porte / Et si j’entre, quelqu’un, me semble-t-il, a fui, / Et son regard m’ignore, comme perdu / En rêve, comme s’il me voyait ailleurs. _ Georg Trakl

Il enleva ses lunettes. S’allongea. Ferma les yeux. / Une mouche se posa sur son front. Il la laissa faire. / Il observait l’intérieur de la mouche : un théâtre vide, / et un acteur, seul, debout sur une chaise, / qui répétait sans voix le rôle d’Iphigénie. _ Yannis Ritsos

Trop de tendresse au front des feuilles / comme une épée consumée, / trop de faux pour chaque image / de notre vie déjà pillée. /…/ L’Arbre interdit nourrit notre amour / de ses racines d’agonie _ Jean Cayrol

L’absence de perspective est la ligne même. / Quelque existence qu’on lui donne, tout dessin racle le néant. On a beau épaissir ou multiplier un trait, c’est toujours un amalgame de riens graphiques que l’on fait ressortir. On croit cerner le monde et c’est la lumière que l’on noircit. _ François Jacqmin

J’ai sonné à leur porte, celle où il y a une petite clochette au son si magnifique. Mais personne ne m’a ouvert. _ Christian Bobin

Ces nuits t’en souvient-il quand la nuit nous recouvre / La nuit qui vient du cœur et n’a pas de matin. _ Paul Éluard

Donc solidement fixé / il observe / lui, le un / le parfaitement bien en place, bien braqué / le Charlemagne des machines / abaissant son œil, appareil de conquête… _ Henri Michaux

Depuis ma migration / à travers tant de corps / les siècles s’entassent / sur mes os /…/ Mon ombre se cogne / à chaque paroi /…/ Le monde est virtuel /…/ Le visible / reste invisible /…/ Le courant de vie / qui me traverse / est sans retour /…/ Lorsque je plonge / en moi-même / je vois la terre entière / qui tourne dans mon sang _ Anise Koltz

Le matin porte un gros sac. / Je lui dis : tu es si vieux / que tu n’as pas besoin de me mépriser. / Tes chaussures sont déchirées / jadis ta robe était mienne _ Thomas Bernhard

Je ne suis qu’un écho / dont j’ignore l’origine /…/ J’accompagne le temps / autour du soleil /…/ Tandis que mes yeux stagnent / dans leurs anciens moules _ Anise Koltz

L’esprit se serre / Le cœur se terre / Le verre mince s’est brisé / Quand on est arrivé on oublie le chemin / Derrière la barrière où s’ouvre la maison / En s’endormant le soir on entre dans le monde où l’on n’est rien / Quelques heures de plus pour ne plus être _ Pierre Reverdy

“ docile aux souffles de la terre, ô Prince sous l’aigrette et le signe invisible du songe, ô Prince sous la huppe, comme l’oiseau chantant le signe de sa naissance, / “ je dis ceci, écoute ceci : / “ Tu es le Guérisseur et l’Assesseur et l’Enchanteur aux sources de l’esprit ! Car ton pouvoir au cœur de l’homme est une chose étrange et ton aisance est grande parmi nous. _ Saint-John Perse

J’essaie j’essaie de comprendre / le sort fait à l’animal / le végétal que l’on débranche / le caillou crissant sous la roue / et l’air qui siffle et qui souffre / lorsque la pierre le traverse / j’essaie j’essaie de comprendre / les mouches meurent par milliers / et puis qu’est-ce que le coït / et le rut et la floraison / et le fruit jetant sa pulpe / pour se retrouver noyau / j’essaie j’essaie de comprendre / et je trempe mes doigts dans l’encre _ Raymond Queneau

C’est un rêve effrayant et je m’y trouve encore. / — Une chose mouvante et qu’on appelle Terre / coule à pic, lentement, hors du regard de l’être… _ Benjamin Fondane

C’est l’acte de cesser de regarder / qui déclenche / le mécanisme de libération / mais les voyous / ne procèdent pas toujours / progressivement / et, s’il se produit / le moindre contretemps / l’œil de l’idée ne s’ouvrira plus /…/ L’idée que j’ai vue était ainsi /…/ Son œil était privé de lumière / mais il dégageait une lueur masquée / qui attirait _ Ghérasim Luca

Cachons la glabre logique / Sous un masque un peu moins nu. / Avec l’air épileptique /Elle aura plus d’imprévu. /…/ Torpeur, colère ou tendresse / Menez-moi je ne sais où : / Je suis las que ma jeunesse / Se confine au fond d’un trou. _ Jean Tardieu

Tu me tends une main / qui n’est pas la tienne /… / La mienne non plus / ne m’appartient pas /… / Comment s’aimer / avec ces formes empruntées _ Anise Koltz

Mais la soupape du chaos / aux lèvres de caoutchouc / lui cira les moustaches, à l’imbécile, / et le sage dut porter des bretelles. _ René Daumal

Dépouillé d’une partie de son feuillage, il respire encore et même parfois il vole, porté par les anges pour qui rien n’est sans mouvement secret. _ Christian Bobin

Mort, éternelle paresseuse, / Dans tes glaces quelle âme est prise / Comme un vaisseau ? _ Henri Pichette

Vert marin, amiral des verts. / Vert terrestre, camarade des laboureurs, / innombrable acompte du bonheur de tous, / ciel infini de ce troupeau paissant un frais pacage d’éternités. /… / Lumière sous-marine du bosquet / où les oiseaux, les plantes, les insectes / s’épuisent dans l’amour silencieux d’un dieu vert. _ Jorge Carrera Andrade

Couchée à plat sur la mort / la vie entre les idées _ Ghérasim Luca

En vieillissant, le Temps est à l’étroit, / il perd sa laine comme un mouton maudit, / sa marche est de travers comme quelqu’un qui boit / … Et c’est le lendemain qu’il rebondit. _ Jean Cayrol

Je pleure car tu m’as demandé / si j’ai vu la pleine lune. / Non, je n’ai rien vu de plein et je n’ai pas vécu. / Je pleure parce que les enfants tiennent leur cartable / comme un savoir achevé déjà, / et que dans le tendre apaisement / des heures encore vertes / ils ne vont pas jouer. _ Kiki Dimoula

Comme un fil de soie / comme un nuage de laine / le soir descend à perdre haleine / et nous soupirons de plaisir / Un grand cri un oiseau gris / et toutes les cloches de la terre / appellent les brebis / dans les champs et sur l’océan / tous les nuages sont partis _ Philippe Soupault

La voici donc, la confusion de mon être; / Je suis incroyablement enfantin, comme vous le voyez, / Mais totalement dépourvu de fraîcheur _ Pier Paolo Pasolini

comme une prison où l’abeille / devient folle de sa paix / je rêve que je m’éveille. _ Jean Cayrol

Un jour les sentinelles sont sorties de mes rideaux / j’avais réuni tous les traits / elles les ont emportés emballés du même papier / qui venait d’effacer mon regard / les sentinelles ont disparu au premier détour de la rue. _ Paul Bourgoignie

Il peut, oh oui, en lui-même, hurler, plongé / dans la terreur d’une hypocrisie / qui est la norme de l’humble univers : /… / mais face aux autres, il sait qu’il n’y a pas d’autre issue / que d’accepter la fin de tout ce qui s’est terminé / dans l’humiliation, ou dans un peu de poésie… _ Pier Paolo Pasolini

L’orage est près / Une branche s’incline sur l’œil qui dort / Un poisson mort / L’eau s’étire / Quelqu’un sort / Là-haut on pourrait lire un mot / La chambre est remplie d’air chaud / Ce qui tombe / La pluie / Larmes de tout le monde / Un éclair luit / Le ciel s’entr’ouvre / On rit / C’est la tête fendue d’un homme qui soupire _ Pierre Reverdy

Et si toi tu es mon trésor occulte, / si tu es ma croix, ma douleur mouillée, / si je suis le chien de ton domaine, /… / ne me laisse perdre ce que j’ai gagné / et décore les eaux de ton fleuve / avec des feuilles de mon automne désolé. _ Federico Garcia Lorca

Détaché de la nudité / balistique /…/ dehors, dedans se rétracte / neutre inondé /…/ rasant les murs / de son ombre violente /…/ écriture d’arpenteur / pour rejoindre la horde _ Jacques Dupin

Là où l’oiseau s’est posé, il y aura bien assez de place pour une pensée. _ Marcel Havrenne

Il y a bien sûr l’œil. Remplissant tout le champ. Le voile qui lentement se baisse. Ou se relève si baissé au départ. Le globe. Rien que prunelle. Écarquillée à la verticale. Voilée. Dénudée. Voilée à nouveau. Dénudée à nouveau. _ Samuel Beckett

Skieur au fond d’un puits. _ Henri Michaux