Visage qui ne dit qui ne rit / qui ne dit ni oui ni non. / Monstre. / Ombre. / Visage qui tend, / qui va, / qui passe, / qui lentement vers nous bourgeonne… / Visage perdu. _ Henri Michaux/

Le poème / depuis si longtemps / cherche son lecteur. / Alors / il tombe à genoux / à l’ombre / des plus grandes ailes / dans la nuit la plus profonde / avec les bancs déserts des jardins / et les crochets de fer dans les arbres. _ Yannis Ritsos

Depuis ma migration / à travers tant de corps / les siècles s’entassent / sur mes os /…/ Mon ombre se cogne / à chaque paroi /…/ Le monde est virtuel /…/ Le visible / reste invisible /…/ Le courant de vie / qui me traverse / est sans retour /…/ Lorsque je plonge / en moi-même / je vois la terre entière / qui tourne dans mon sang _ Anise Koltz

Parce qu’on est tout seul dans son île (seul avec l’ombre de son sage), acteur maniaque de signaux que personne ne remarque, — c’est toujours par : “Pitié ! Voyez ma maladresse“ qu’il faudrait s’essayer à se faire comprendre? _ Francis Ponge

Le jour a soif et rêve / en ce désert d’une ombre / si bleue que des poissons / naissent parmi les feuilles. _ Pericle Patocchi

Dévoré par les plumes et soumis à la mer, / Il a laissé passer son ombre dans le vol / Des oiseaux de la liberté. _ Paul Éluard

Tu peux m’appeler cygne ; ombre / dévoilée. Tu peux m’appeler / drap tissé d’eaux lancinantes, / corne nuptiale. / Je ne suis rien sinon sur ton corps / un éclat / de soleil, de sang ou de sel. _ Eugénio de Andrade

Une ombre dans les intempéries de l’œil / Est la moitié de la lumière. La mer sondée / Se brise sur une terre sans angle. / La semence qui fait surgir une forêt dans les reins / Enfourche à demi le fruit et à demi s’égoutte / Dans un vent qui s’endort. _ Dylan Thomas

Faire du regard le seul tranchant, / traverser l’eau corrompue, / au revers de l’ombre épeler / le visage brûlé par une soif ancienne. _ Eugénio de Andrade

« Honneur au Prince sous son nom ! La condition de l’homme est obscure. Et quelques-uns témoignent d’excellence. Aux soirs de grande sécheresse sur la terre, j’ai entendu parler de toi de ce côté du monde, et la louange n’était point maigre. Ton nom fait l’ombre d’un grand arbre. _ Saint-John Perse

Fétiche de l’ombre / le soleil vêtu de peaux de bêtes et de plumes de couleur / stoppe craintivement au bord de ton obscurité _ Michel Leiris

Détaché de la nudité / balistique /…/ dehors, dedans se rétracte / neutre inondé /…/ rasant les murs / de son ombre violente /…/ écriture d’arpenteur / pour rejoindre la horde _ Jacques Dupin

Je suis l’habitant des pierres / sans mémoire, assoiffé d’ombre verte, / je suis le citoyen de cent peuples, et celui / des prodigieuses Capitales, / L’Homme Planétaire, / le pilote de toutes les fenêtres / de la Terre assourdie par les moteurs. _ Jorge Carrera Andrade

Chien perdu / aux yeux sans larmes / que la nuit guette / cette nuit peuplée de cette foule / qui n’est qu’un seul visage / qu’un seul appel / qu’une seule ombre _ Philippe Soupault

Il divisa les temps des temps et mesura / L’espace avec l’espace aux neuf plis de son ombre, / Non vu et non connu ; les changements surgirent / Comme montagnes désolées que déchirent furieusement / Les vents noirs de l’extrême tourmente. _ William Blake

Où allez-vous avec vos têtes de veaux ? / Où allez-vous avec embarras ? / Le soleil est un peu liquide / Un peu liquide cette nuit./ Où allez-vous, têtes à l’oseille ? /…/ Nous allons pisser dans les trèfles / Et cracher dans les sainfoins. _Robert Desnos

Qu’on laisse à chacun sa part d’ombre et les lumières / qui nous éclairent tous seront bien gardées. _ Marcel Havrenne

S’échappe de la main du temps l’âme naïve / Égoïste et irrésolue, boiteuse, difforme / Ne sachant aller de l’avant ni reculer, / Craignant la chaude réalité, le bien offert, / Niant la tyrannie importune du sang, / Ombre à ses propres ombres et spectre en sa ténèbre _ T. S. Eliot

— Son ombre est-elle douée de parole ? / Elle l’injurie et le console / Et joue pour lui les plus beaux rôles. /…/ — Ton ombre elle est galonnée / Mais elle a mis un faux nez / Et chante un refrain suranné. _ Robert Desnos

Miroir lunaire l’abrupt. Vers le bas. / (Lueur maculée par le souffle. Stries de sang. / Nuée de l’âme, qui a pris corps encore une fois. / Ombre des dix doigts — cramponnés.) _ Paul Celan

Je m’éloigne de moi-même, / à la suite de cette phrase titubante, / sentier de pierres et de chèvres. / Les mots luisent dans l’ombre. / Et la noire marée des syllabes / couvre le papier, elle enterre / leurs racines d’encre / dans le sous-sol du langage. _Octavio Paz

Ainsi je soutiens, pétrifié, le / lointain, où je t’emmenais. /…/ Lavés / d’une pluie de sable les deux / trous à la limite inférieure du front. / À scruter, / tu y trouves l’ombre. _ Paul Celan

C’était lors de mon premier arbre, / J’avais beau le sentir en moi / Il me surprit par tant de branches, / Il était arbre mille fois. / Moi qui suis tout ce que je forme / Je ne me savais pas feuillu, / Voilà que je donnais de l’ombre / Et j’avais des oiseaux dessus. _ Jules Supervielle

Vous qui vivez, ah ! dites-moi / comment un bras vivant se lève / pour illuminer tant d’ombre, / vous qui vivez, croyez-vous à ma mort ? / et que je passe à travers les murs / comme un homme basculant tombe / d’une fenêtre dans l’air fuyant ? _ René Daumal

Il avançait toujours — et ce n’était pas Lui. / Je le suivais. J’étais à deux pas de son ombre. / C’était une poursuite lente / si lente et en dehors du temps / que l’aube tout à coup étala ses marais / et que l’on étrangla des coqs, qui éclatèrent / au centre du soleil _ Benjamin Fondane

Le Paradis, tombant, s’était cassé dans l’ombre. _ Jean Cocteau

L’éternité comme thème / de jeu enfantin / mais le bras est plus lourd que l’ombre / et mieux irrigué / dans le désastre _ Jacques Dupin

Sous la mousse creuse et sous tes pas qui n’en sont pas / Mes rêves seront formels et vains comme le bruit de paupières de l’eau dans l’ombre / Je m’introduirai dans les tiens pour y sonder la profondeur de tes larmes _ André Breton

Quel insensé qui n’ait voulu sauver fût-ce / qu’un peu de ce crépuscule, une poignée d’odeur, / quelque absurde soulier d’une ombre / et qui peut rire, rire de ce que l’Eternel / lui-même meure ? _ Benjamin Fondane

Sur la vertu de l’herbe interrogez l’oracle. / Sa bouche d’ombre imite un bâillement de fleur / Dont la gorge à points blancs que du feu rose racle / Laisse entendre une voix lointaine de souffleur. /…/ Le bâillement de cette gorge d’orchidée / Sauvage (le poète est aussi médecin) / Délivre le pollen d’une petite idée, / Faisant la mère inceste et le fils assassin. _ Jean Cocteau

Il n’y a plus rien qui reste / entre mes dix doigts / Une ombre qui s’efface / Au centre / un bruit de pas _ Pierre Reverdy

Ombre si douce au toucher / Miroir heureux où se penche / Un visage que rien ne dérange / Comme un aveu d’éternité. _ Jean Cayrol

Je suis où je fus : / je vais derrière le murmure, / pas au-dedans de moi, entendus avec les yeux, / le murmure est mental, les pas sont moi-même, / j’entends les voix que je pense, / les voix qui me pense quand je les pense. / Je suis l’ombre que projettent mes mots. _ Octavio Paz

Il est tard et déjà / dans l’ombre et dans le vent / un cri monte avec la nuit / Je n’attends personne / plus personne / pas même un souvenir / L’heure est passée depuis longtemps _ Philippe Soupault

Qui pourrait arracher l’empreinte sans forme / De ton ombre foulant demain / Avec un oracle en guise d’oeil ? _ Dylan Thomas

(Viens t’abriter à l’ombre de ce rocher rouge)/ Et je te montrerai quelque chose qui n’est/ Ni ton ombre au matin marchant derrière toi,/ Ni ton ombre le soir surgie à ta rencontre ;/ Je te montrerai ton effroi dans une poignée de poussière. _ T.S. Eliot

Le Néant est trompeur quand il promet la preuve/ A toute ombre qu’il n’existe pas de jour/ Qui ne puisse être anéanti par quelque épée _ W.H. Auden

Ne sachant aller de l’avant ni reculer,/ Craignant la chaude réalité, le bien offert,/ Niant la tyrannie importune du sang,/ Ombre à ses propres ombres et spectre en sa ténèbre _ T.S. Eliot

Nomme si tu peux ton ombre, ta peur/ et mesure-lui le tour de sa tête,/ le tour de ton monde et si tu peux,/ prononce-le, le mot des catastrophes,/ si tu oses rompre ce silence/ tissé de rires muets _ René Daumal

Je marche sous les cieux dont le désert est l’ombre/ et compose avec eux un triste sablier _ Michel Leiris