Mais la soupape du chaos / aux lèvres de caoutchouc / lui cira les moustaches, à l’imbécile, / et le sage dut porter des bretelles. _ René Daumal

Non, non, ce n’est pas une devinette, / hélas, ce n’est pas une devinette, / que ce soit ici ou ailleurs, / je ne me reconnais plus. _ René Daumal

Ils gémissaient, les vieux couverts de rouille : / “… retourne à la roue, mon souffle ! / va piétiner sur les planètes / avec tes pas lourds dans la nuit des cavernes. / Mes enfants n’ont plus de pensées ! / Mes beaux enfants ont la cervelle vide. / La vie est facile, ils ne vivent plus…“ – René Daumal

Si le soleil ne s’éteint pas sur mes États, / c’est que mon règne est d’un seul jour. / L’anti-roi de la nuit d’en bas, / l’anti-moi de l’autre face, / il pense et meut un ciel noir crevé d’astres. _ René Daumal

Et l’Idée repose dans la Parole / Et les bêtes-passions vivent dans le souffle, / leur danse selon l’Idée de la Parole est rythme libre. _ René Daumal

Cette statue de vide bleu et de vertige , / morte, des chairs convulsives l’habillent / morte, elle ondule et claque au vent de la détresse / et des lames de fond élargissent ses yeux _ René Daumal

Vous qui vivez, ah ! dites-moi / comment un bras vivant se lève / pour illuminer tant d’ombre, / vous qui vivez, croyez-vous à ma mort ? / et que je passe à travers les murs / comme un homme basculant tombe / d’une fenêtre dans l’air fuyant ? _ René Daumal

Je vais renaître sans cœur, / toujours dans le même univers, / toujours portant la même tête, / les mêmes mains, / peut-être changées de couleurs, / mais cela même ne me consolerait point. _ René Daumal

Les derniers rideaux du sommeil / ondulent au bruit sourd des coups du sang / dans les membres creux des statues. _ René Daumal _ (visuel : installation de Michel Blazy au collège des Bernardins)

Dans tes bras de velours mouillé / qui glissent vers ma gorge, / dans ces cent bras mous ce qui tourne / et tourne toujours sous des sueurs blanches,/ c’est ce cœur noir, cet animal / que je ne connais plus. _ René Daumal

Ce qui est noir et plus noir encore, / c’est la bouche tournante, / c’est la chair tuante et creuse, / c’est la peur mouvante. _ René Daumal

Le jeu sans fin des trappes et des rideaux / où le rêve se complique / d’anguilles, de mollusques, / et d’idoles aux bras innombrables / dissipe en brouillard les regards / qui s’essaient à vivre _ René Daumal

Celui qui bat dans la poitrine, / le soleil monte le long du dos /jusqu’à l’éclat bleu dans la nuit, / jusqu’aux signes soudains dans le silence / du souffle épuisé dans la tête _ René Daumal

Fleuves charriant de grandes membranes mortes, / pellicules blanches de la souffrance, / coulée des larmes et des sueurs, / dans quelle bouche allez-vous vous perdre, / pour renaître fleurs de feu ? _ René Daumal

Comme une orbite privée de son astre / je me pensais en cercles vides sur moi-même ; / j’ai poursuivi des lunes fantômes, / je me suis consolé de trop de faux soleils. _ René Daumal

J’ai la forme de ton absence, / j’attends ton souffle dans mes membres, / oh ! tu fourmilles de soleils ! / mais ne reviens que pour ne plus t’enfuir. _ René Daumal

Un siècle s’est-il écoulé / depuis ce dernier sourire / qui flotta devant mes yeux, / depuis ce soupir / qui me noya dans un vertige creux ? _ René Daumal

Le velours de nuit descend en soi-même,/ le vide s’arrondit sous un travail obscur/ et tombe en perle noire droit au fond de soi-même / et de là regarde. _ René Daumal

Souviens-toi des magies, des poisons et des rêves tenaces; — tu voulais voir , tu bouchais tes deux yeux pour voir, sans savoir ouvrir l’autre. _ René Daumal

Ne t’échappe pas, me dit la lumière _ René Daumal

Et maintenant j’ai dépouillé la pourriture,/ et tout blanc je viens en toi,/ ma peau nouvelle de fantôme/ frissonne déjà dans ton air. _ René Daumal

Avant que l’éveil n’ait mis sa griffe/ sur ce front qui dort fermé sur des feux,/ sur des nuits et sur des poisons chanteurs,/ j’aurais plongé dans la mare sans rides. _ René Daumal

L’OEil de tes yeux, ce Point puissant de toute étendue, c’est la Porte,/ c’est le chemin avant-tracé pour tes désirs _ René Daumal

Toute la nuit il essaya de s’arracher du coeur le mot imprononçable. Mais le mot grossissait dans sa poitrine et l’étouffait et lui montait dans la gorge et tournait toujours dans sa tête comme un lion en cage. _ René Daumal

Nomme si tu peux ton ombre, ta peur/ et mesure-lui le tour de sa tête,/ le tour de ton monde et si tu peux,/ prononce-le, le mot des catastrophes,/ si tu oses rompre ce silence/ tissé de rires muets _ René Daumal

Toi qui t’es oublié dans ce tombeau mouvant, / c’est à moi que je parle et mon double me tue _ René Daumal

Souviens-toi : de ta mère et de ton père, et de ton premier mensonge, dont l’indiscrète odeur rampe dans ta mémoire. _ René Daumal

une lueur bleue serpente sur ma peau,/ la mange et me dessèche,/ je ne sais pas ce que j’ai su. _ René Daumal

_ Blanc et noir et blanc et noir et noir et blanc,/ si nos âmes échangeaient leurs corps,/ il n’y aurait rien de changé, alors ne parlez plus de corps ni d’âmes. _ René Daumal

_ En d’aveugles ténèbres entrent/ ceux qui se vouent au non-savoir ;/ en des ténèbres encore plus noires/ ceux qui du savoir se contentent. _ René Daumal

_ Cet oiseau ne reviendra plus/ qui se détache de ta face,/ né de ta peau, déplié dans l’espace _ René Daumal

_ J’essaie d’avoir l’air de quelqu’un/ parmi vous qui vivez,/ c’est seulement une politesse/pour rire un peu. _ René Daumal