J’essaie j’essaie de comprendre / le sort fait à l’animal / le végétal que l’on débranche / le caillou crissant sous la roue / et l’air qui siffle et qui souffre / lorsque la pierre le traverse / j’essaie j’essaie de comprendre / les mouches meurent par milliers / et puis qu’est-ce que le coït / et le rut et la floraison / et le fruit jetant sa pulpe / pour se retrouver noyau / j’essaie j’essaie de comprendre / et je trempe mes doigts dans l’encre _ Raymond Queneau

En marécage épais parfois phosphorescent / les amis du marasme profèrent quelques cris / en hurlant des rires contre tout ce qui passe / s’enfonçant se hissant ou bien disparaissant /…/ Je barbote de même en cette tourbe rouge / rutilant des ardeurs de foyers d’hérésie / au milieu des produits du faste et de l’esthète / se traînent les conscrits pataugeant dans la lie _ Raymond Queneau

Au fond des fourrés de la forêt / il y a un drôle d’animal / il est sensible insensible ni bien ni mal / il n’attaque pas son semblable / ni l’autre / il ne ratisse pas le végétal / pour sa consommation courante / souvent il reste là / ou bien ici / il se reproduit sans histoires / il existe /…/ parfois il murmure / avec les feuilles _ Raymond Queneau

quand le moment vient il hiberne / avec le printemps il s’éveille / avec l’été il sommeille / l’automne le trouve taciturne _ Raymond Queneau

Oiseaux ciseaux coupant le ciel / flèche de fer des hirondelles / cailloux tombant des passereaux / lessivage des étourneaux /…/ promenade des pigeons / promenade des dindons / et des paons la salutation _ Raymond Queneau

Sous son chapeau mordoré / dort un champignon comestible / un connaisseur vient le cueillir / il meurt de façon horrible / ce végétal désespéré / s’était empoisonné _ Raymond Queneau

et les canards dans leur mare dignes / se moquent de n’être pas cygnes _ Raymond Queneau

le chat paresseux et thermométrique / regarde le radiateur électrique _ Raymond Queneau

Le petit peuple des statues / du jardin des Tuileries / est un petit peuple de nudistes / ces messieurs et ces dames / se mettent volontiers à poil / bien qu’il y ait là des enfants / et des touristes à l’âme pure /…/ et les pigeons chient dessus / sur le petit peuple des statues _ Raymond Queneau

Poisson traîné sorti de son eau jeté sur le sable à cinquante lieues du bercail marin / sable de rivière sable de poussière sable de misère sable de terre _ Raymond Queneau

La poule enlève le renard / sous son bras de plume / le coq crie un peu tard / il est tout rouge /…/ la poule joue au casino / emmitouflée dans un boa / le kidnappé crie un peu tard / qu’on ne l’y reprendra pas /…/ elle retourne au poulailler / pondre l’œuf de son infortune / le coq chante un peu trop tôt / le renard court un peu plus vite _ Raymond Queneau

la poule a perdu sa boussole / elle court éperdument / le coq fait croire qu’il vole / en se perchant sur un aimant /… / et les canards dans leur mare dignes / se moquent de n’être pas cygnes _ Raymond Queneau

oiseaux oiseaux que je déplore / tout ce mal qui vous assiège / ces gens qui veulent la mort / de vos arpèges _ Raymond Queneau

Que le cheval / chante bien ou mal / qu’importe pourvu qu’il chante _ Raymond Queneau

cette ouverture communique/ avec des chants anciens/ des personnages peut-être démoniaques/ ou bien rien/ ou bien rien/ il faut toucher le fond de la caverne/ pour s’assurer de son absence _ Raymond Queneau

Les vieux se sont assemblés/ pour jouer à la marelle du passé _ Raymond Queneau

Les morts révoltés/ les morts syndiqués/ sortent du cimetière/ avec leurs crânes délavés_ pas de prière/ devant le calvaire/ ils ne se sont pas agenouillés/ les morts se sont révoltés _ Raymond Queneau