Maintenant nous sommes dans l’ère des yeux vides. Tout me blesse en dehors de ce temps que j’ouvre, pour que tu y passes. _ Christian Bobin

Face de l’amertume / évidence tannée / en cette matinée / comme la foudre tonnant / sur une foudre de haine / ils ont jailli du vide / vide délavé par les mirages / urine du soleil résine du sable / Vide disette anomie / amnésie dessèchement / stérilité comme leurs yeux / leurs yeux / où a tari la rosée / leurs yeux lave / haine violence brûlantes / comme le poil du feu / dans leurs prunelles / regard lame affûtée _ Hawad

Il enleva ses lunettes. S’allongea. Ferma les yeux. / Une mouche se posa sur son front. Il la laissa faire. / Il observait l’intérieur de la mouche : un théâtre vide, / et un acteur, seul, debout sur une chaise, / qui répétait sans voix le rôle d’Iphigénie. _ Yannis Ritsos

Les écorces de nos yeux / et de nos visages / ont bu la lave / piment marc / des soleils et des vertiges /venus des tréfonds et des larges, / houles fielleuses / de nos douleurs. /…/ Regard crevassé / comme le poing de nos mains, / coups de poing, / vues râpeuses./ Entrailles nouées / comme les nerfs de nos fronts. / Nos intestins ont été dressés / à l’art transe / de négliger tout / ce que nous ne possédons pas. _ Hawad

Je ne suis qu’un écho / dont j’ignore l’origine /…/ J’accompagne le temps / autour du soleil /…/ Tandis que mes yeux stagnent / dans leurs anciens moules _ Anise Koltz

Les mannequins se cachent pour sourire / parce que le réel est insuffisant / quand le mal de vivre se loge au fond d’une poche / aussi vide qu’une journée sans poil. / Alors les filles immobiles / dansent sur le papier glacé / des ballets arrêtés. / Elles fixent sans voir / le monde. / De l’autre côté du vernis plastique / nous clignons des yeux. _ Olivier Saillard

Les yeux ne sont pas ici / Il n’y a pas d’yeux ici / Dans cette vallée d’étoiles mourantes / Dans cette vallée creuse / Cette mâchoire brisée de nos royaumes perdus _ T.S. Eliot

ENTRANT DANS LES YEUX d’une icône byzantine par le trou noir de la pupille, l’Annonciateur l’élargit aux dimensions d’une impiété quadrangulaire. Plus nourrissant qu’un essaim météorique, ce rectangle caviar comprime des défilés de soleils. Leurs rayons convergent dans la camera oscura du cerveau, révélant l’athéisme de Dieu _ Lydie Dattas

Sans regard, à moins que / Les yeux ne reparaissent / Telle l’étoile perpétuelle / La rose aux maints pétales / Du royaume crépusculaire de la mort / Le seul espoir / D’hommes vides. _ T.S. Eliot.

Et j’ai dit à mon propre espoir : Que me veux-tu ? / Pourquoi me harceler sans cesse ? / Cette terre me plaît aux entrailles douces / ce nuage d’été se pose dans mes yeux / comme un sanglot de joie _ Benjamin Fondane

Un bel oiseau me montre la lumière / Elle est dans ses yeux, bien en vue. / Il chante sur une boule de gui / Au milieu du soleil. /… / Les yeux des animaux chanteurs / Et leurs chants de colère ou d’ennui / M’ont interdit de sortir de ce lit. / J’y passerai ma vie. _ Paul Éluard

Ferme les yeux visage noir / Ferme les jardins de la rue / L’intelligence et la hardiesse / L’ennui et la tranquillité / Ces tristes soirs à tout moment / Le verre et la porte vitrée / Confortable et sensible / Légère et l’arbre à fruits / L’arbre à fleurs l’arbre à fruits / Fuient. _ Paul Éluard

Je concentre mes yeux sur le lieu / le plus précaire de ton corps : en août / on meurt avec les oiseaux : / de solitude. _ Eugénio de Andrade

Je vous donne mes yeux / jetez-les à vos fleurs, / je vous donne ma voix / pour vos chambres sonores. /…/ Je renais en tombant / de mon haut dans la mer. / Disparu ! Quel poisson / se nourrit de mon cœur ? /…/ Oh, la paix d’être enfoui / quelque part, sans connaître / qui je suis où je vis / dans le feu clair de l’Être. _ Pericle Patocchi

Regarder un animal dans le blanc des yeux / sans rougir / sans avoir l’air d’y toucher / en louchant si possible / en tapant du pied / en frappant des mains _ Philipe Soupault

De quatre mille ans / nous revenions chez nous, / dans nos yeux séchait / le vin des lagunes, / nous voyions les bateaux échouer / dans la lumière rouille du soir, / pourtant derrière les bateaux les enfants / ne nous voyaient pas. _ Thomas Bernhard

Un oiseau aux yeux jaunes habite le parc. La nuit, une étoile parmi d’autres étoiles. _ Corneille

J’ai ôté le Christ / du crucifix / et j’y ai mis tes yeux /…/ Au-dessus de mon lit / – ainsi – / j’aurai deux torches éternelles / pour éclairer les livres / de mes nuits d’insomnie. _Claudio Pozzani

L’eau de tes yeux pressés sur l’oreiller… / et c’est injuste, tu sais, / de noyer mille acariens pour si peu. _ Claudio Pozzani

ne ferme pas encore les yeux / dans les étuis de haie sous les cagoules des pâturages chaque jalousie se tient secrète / et pour la bouche assiégée des injures de clairons et de pétards / fait abandon de la lueur des mains de résine _ Tristan Tzara

Court-circuit au cœur / Une panne au moteur / Quel aimant me soutient / Mes yeux et mon amour se trompent de chemin _ Pierre Reverdy

Je vois des grands chemins très blancs / comme les lignes de la main / Rien ne sert de pleurer / les larmes éternelles sont les étincelles / qui brillent et qui creusent / les yeux d’un vert spécial / presque tendre _ Philippe Soupault

Comment dormir, / comment dormir avec la pluie / tombant syllabe / après syllabe sur les yeux ? _ Eugénio de Andrade

Toi, couché là sur le dos, / Les yeux au ciel. / Les hommes-araignées t’ont capturé, /…/ Roulé, entortillé avec leurs chaînes mesquines, / Leurs combines — / Autant de fils de soie. _ Sylvia Plath

Le marquis de Sade a regagné l’intérieur du volcan en éruption / D’où il était venu / Avec ses belles mains encore frangées / Ses yeux de jeune fille / Et cette raison à fleur de sauve-qui-peut qui ne fut / Qu’à lui _ André Breton

D’abord derrière les roses il n’y a pas de singes / Il y a un enfant qui a les yeux tourmentés _ Georges Schehadé

L’aube point derrière les yeux. / Des pôles du crâne et de l’orteil le sang venteux / Glisse comme une mer. _ Dylan Thomas

Maîtres des yeux / nuages / architectes de silences / quand soudain / surgit le mot / albâtre / svelte transparence non conviée / Tu dis / j’en ferai de la musique / château de syllabes / Tu n’en fis rien _ Octavio Paz

Cette statue de vide bleu et de vertige , / morte, des chairs convulsives l’habillent / morte, elle ondule et claque au vent de la détresse / et des lames de fond élargissent ses yeux _ René Daumal

Éclair dans les yeux. Houle dans le rêve. / Quelque chose a troublé le cœur. / Rouge, il sauta — et dans le rectangle clair, / Ouvrit grand la porte du carrosse. _ Alexandre Blok

Quand les yeux se perdent dans le sommeil / Comme au fond d’un puits les visages _ Georges Schehadé

QUE sais-je, que puis-je comprendre — / Les yeux écarquillés, / je m’accroche à ce que me disent mes sens / et tente de cerner la réalité : / qu’y a-t-il derrière le rire sonore des femmes, / que se cache-t-il derrière les mots vides des hommes — ? / j’attends la seconde / qui jettera sa lumière / sur tout cela ! _ Josef Kjellgren

Le vide. Face aux yeux écarquillés. S’écarquillant où faire se peut.Toutes parts. En haut en bas. Ce champ étroit. Savoir pas plus. Voir pas plus. Dire pas plus. Ça seul. Ce petit peu de vide seul. _ Samuel Beckett (trad. Edith Fournier)

A droite je regarde dans les plus beaux yeux / A gauche entre les ailes aveugles de la peur _ Paul Eluard

Ma femme aux yeux pleins de larmes / Aux yeux de panoplie violette et d’aiguille aimantée / Ma femme aux yeux de savane / Ma femme aux yeux d’eau pour boire en prison / Ma femme aux yeux de bois toujours sous la hache / Aux yeux de niveau d’eau de niveau d’air de terre et de feu _ André Breton

Ce n’est pas — la » Révélation « — qui attend, / Mais nos yeux démunis — _ Emily Dickinson

je suis né de rien, / et cependant, plus tard dans la chair de la femme / j’ai cherché cette chose amère et emmêlée, / l’obscure volupté qui m’a ouvert les yeux. / Mais comment cette chair devient esprit, le sais-je /… _ Benjamin Fondane

Que voient-ils, ceux qui meurent, quelle couleur se vrille dans leurs yeux renversés, transperce leur âme encore vibrante ? Quelle pluie de lumière lave leurs regards d’os, aveugles au monde et clairvoyants, quel amour ébloui ? _ Christian Bobin

Muet malheur de l’homme / Son visage petit matin / S’ouvre comme une prison / Ses yeux sont des têtes coupées / Ses doigts lui servent à compter / A mesurer à prendre à convaincre / Ses doigts savent le ligoter. _ Paul Eluard

Je suis où je fus : / je vais derrière le murmure, / pas au-dedans de moi, entendus avec les yeux, / le murmure est mental, les pas sont moi-même, / j’entends les voix que je pense, / les voix qui me pense quand je les pense. / Je suis l’ombre que projettent mes mots. _ Octavio Paz